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21 avril 2021

Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse – éditions j’ai lu

Une femme en contre-jour

Chicago, Rogers Park, décembre 2008. Une femme assise sur un banc au bord du lac portant un manteau informe tente tant bien que mal de lutter contre le froid. Elle semble lasse, absente, perdue. Dans un ultime geste de maladresse, elle glisse sur une plaque de verglas. Sa tête heurte le sol. Une ambulance arrive conduisant la pauvre victime vers l’hôpital. Dès sa sortie, elle sera installée dans une maison de repos. Qui est cette vieille dame solitaire qui perd un peu la tête par moments ? Il s’agit de Vivian Maier, celle qu’on surnommait aux Etats-Unis quelques années après son décès « la nounou photographe. »

Gaelle Josse démarre ce sublime roman en concluant avec le destin tragique de cette femme mystérieuse, comme si la vie était un cercle. Puis, progressivement, l’autrice déroule le fil : naissance, vie, adolescence, entrée dans la vie adulte, puis la vieillesse et enfin la mort.

Vivian Maier est née le premier février 1926 à New York d’une mère française (originaire des Hautes-Alpes) et d’un père austro-hongrois. Elle est donc le fruit de deux tranches d’immigrants qui espèrent pouvoir trouver la chance et poursuivre ainsi le fameux rêve américain.

Mais le destin sera loin du conte de fées. Vivian grandit au sein d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle l’atmosphère est irrespirable. Un étrange couple. Le père est violent, alcoolique, inspirant le dégout et la frayeur. La mère est instable, menteuse et imprévisible. Avant l’âge de ses cinq ans, le frère de Vivian est retiré à la garde de ses parents, placé en famille d’accueil par les services sociaux. Vivian entretient une relation très forte avec la France et y passera d’ailleurs quelques années pendant son enfance. Resteront-ils les moments les plus insouciants de sa vie ? Puis en avril 1951, pour des raisons familiales complexes et obscures, Vivian est de retour en Amérique et découvre la période du maccarthysme.

Pour gagner sa vie, elle devient gouvernante d’enfants. Nurse. Nanny. Par commodité. Sans vocation aucune. En parallèle de son activité professionnelle, Vivian devient prohotographe de rue sans ne rien dévoiler sur sa démarche artistique. Un puits de silence. Dans son viseur, Vivian immortalise le monde des démunis, des fracassés, des pauvres, de ceux qui manquent de tout. Les portraits leur donnent ainsi un semblant de dignité tout en s’inscrivant dans la mémoire collective.

Portrait

En 2007, un jeune agent immobilier de 25 ans, John Maloof achète aux enchères un carton qui comporte tout un fatras de choses : des photos, des articles de journaux, des pellicules non développées, des bobines de films…Pourtant néophyte dans le domaine de la photographie, il a l’intuition qu’il tient entre les mains un trésor. A partir de ce moment, il entreprend un travail de recherches et permettra à cette génie invisible de devenir une artiste internationalement reconnue de par son sens absolu du cadrage, de l’instant et du portrait. Ses multiples démarches permettront de faire découvrir une œuvre monumentale longtemps cachée.

Autant vous le dire tout de suite, je tiens là entre les mains une pépite ! Voici ma deuxième lecture de Gaelle Josse. http://apresavoirlu.canalblog.com/archives/2020/08/26/38499092.htmlJ’ai l’impression qu’on parle peu de cette femme qui pourtant a largement sa place sur le devant de la scène littéraire. Ce livre est un coup de cœur et je pense ne pas me tromper en me disant qu’il fera parti de ma sélection des meilleurs livres de l’année.

Pourquoi ? Pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, bien que l’autrice réfute l’étiquette de biographie romancée, je trouve qu’en s’appuyant sur de nombreuse archives, témoignages, documentaires (Finding Vivian Maier) elle a fait de cette femme un personnage romanesque au destin tragique et mémorable. En lisant ce livre, j’ai pensé au plaisir intense que j’avais éprouvé en lisant la biographie de la muse de Modigliani. En ce sens, ce roman rend hommage aux artistes de l’effacement, à ceux dont la notoriété n’a été finalement que posthume.

Par ailleurs, ce livre est fascinant car la personnalité de Vivian est au cœur du livre : on comprend bien que c’est une figure double, considérée par certains comme une femme fantasque, un soleil, un grain de folie dans un monde terne mais par d’autres comme une femme dure, terrifiante, méchante voir maltraitante. Les regards posés sur Vivian sont extrêmement contrastés et le lecteur s’interroge sur l’énigme qui pèse sur ses épaules. Pourquoi n’a-t-elle jamais ni montré ni partagé son travail de son vivant ? Face à ce mystère, l’autrice se permet d’exposer quelques hypothèses.

Enfin, le livre est magnifiquement écrit (le style est fin et lyrique) et rappelle aussi que la création a un pouvoir cathartique, comme une œuvre de réparation.

En finissant le livre, j’ai eu le cœur serré pour cette femme au destin si particulier. J’ai le sentiment de vouloir en savoir encore plus et de découvrir notamment le film qui a été réalisé en 2013. En attendant, je vous recommande vivement et chaleureusement de lire ce fabuleux hommage dédié à ceux qui ne "sont" rien. 

Pour en savoir plus : https://youtu.be/2o2nBhQ67Zc

http://www.vivianmaier.com/

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