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6 avril 2021

No et moi de Delphine de Vigan - chapitre 30

Rembrandt

Le chapitre 30 se déroule au lycée, lieu d’apprentissage et d’échange des savoirs. L’autrice attire notre attention sur la déchéance de Lucas : son échec scolaire flagrant. Ses résultats sont sérieusement en baisse et face à cette évolution inquiétante, le professeur Monsieur Muller, se montre impitoyable et sarcastique.

L’humour grinçant : la clé de l’humiliation ou l’élément déclencheur pour une prise de conscience ?

Le chapitre 30 démarre avec une injonction adressée à Lucas. Je cite : « Monsieur Muller, levez-vous et comptez jusqu’à 20. » L’utilisation des deux verbes à l’impératif place bien le rapport professeur/élève. Remarquons que l’utilisation du vouvoiement met en place une relation de respect tout en élargissant la distance entre les deux interlocuteurs. Le temps s’écoule : « un, deux, trois…STOP !...C’est votre note, monsieur Muller : trois sur vingt. » Affirmons que la démarche reste peu pédagogique. Delphine de Vigan questionne les méthodes douteuses employées par l’enseignant qui ose se moquer ouvertement des résultats de son élève. De mon point de vue, Delphine de Vigan, dénonce ici un comportement injuste qui conduit à humilier l’élève devant l’ensemble de la classe. Tout au long de la lecture de ce passage, je suis prise entre colère et incompréhension car je trouve que cette attitude n’est pas pleinement fidèle au profil du personnage qui certes est exigeant et intransigeant mais pas forcément mesquin. Il se montre aussi menaçant quand il déclare : « Si vous souhaitez tripler votre seconde, c’est bien parti. » C’est très brutal comme approche.  On se demande donc si cette attitude méprisante a pour but de servir « d’électrochoc » ou permettre à l’enseignant d’asseoir une autorité incontestable devant une audience silencieuse ? Il se montre aussi menaçant quand il déclare : « Si vous souhaitez tripler votre seconde, c’est bien parti. »

Lou : murée dans le silence

Devant un tel acharnement public, on pourrait imaginer un certaine forme de compassion ou de solidarité de la part de Lou. Et pourtant, c’est l’inverse. Elle l’observe silencieusement, passe au peigne fin ses gestes calmes et discrets. Je cite : « il ne proteste pas, il ne fait rien tomber ». Il me vient cette expression qui colle parfaitement à la scène : il adopte un profil bas. Cela veut dire quitter les lieux dans la plus grande discrétion. Lou se montre froide, distante et ne dévoile aucune empathie. Je cite : « moi je fais la fière sur ma chaise, le dos bien droit, la tête haute, et l’air concentré comme dans Questions pour un champion. » La comparaison ici souligne son indifférence la plus totale. Décidemment, ce chapitre ne cesse de me surprendre. Face aux difficultés, les deux personnages ne se serrent plus les coudes. Ils s’éloignent, se divisent.

Et pourtant…

Or, nous savons que le style de Delphine de Vigan n’est jamais ni noir ni blanc. C’est beaucoup plus subtil. Derrière cette distance de façade, se cache une forme de solitude dans laquelle plonge Lou en imaginant différents scénarios auxquels elle n’appartient pas. Elle visualise des scènes dans lesquelles elle imagine Lucas heureux et populaire. Je cite : « Il va aller à la soirée de Léa. Il va y aller sans moi. » Cette phrase écrite au futur proche révèle une pointe de jalousie tout en appuyant un peu plus sur cette sensation d’être en permanence en décalage avec les autres.  Participer à une fête selon Lou est « inconcevable ». Cet adjectif puissant montre bien que cette adolescente surdouée est seule et incapable de s’amuser avec les autres.

Le froid entre Lou et Lucas semble de courte durée. Comme si les deux étaient finalement incapables de briser le lien si fort qui les unissait. Il n’y a pas de mots mais des gestes qui en disent long. Une fois de plus, l’autrice utilise un style cinématographique pour plonger le lecteur dans le cadre de la cour de recréation. Je cite : « de loin je vois qu’il me sourit et je ne peux pas m’empêcher de sourire aussi, même si je suis fâchée, parce que je n’ai pas de carapace comme les tortues ni de coquille comme les escargots. » Delphine de Vigan parsème leur relation de petites touches de tendresse, ce qui humanise profondément les personnages tout en montrant la multitude des sentiments qui traversent le cœur de ces deux adolescents sensibles.

Lucas est de nouveau bienveillant et attentif en utilisant le surnom affectif « pépite ». Il est gentil et doux quand il demande : « Pépite, tu devrais venir avec moi samedi, chez Léa, ca te changerait les idées. » L’utilisation du conditionnel montre bien qu’il suggère une proposition. Toutefois, Lou décline, prétextant l’interdiction de ses parents. Ment-elle ou dit-elle la vérité ? Pourquoi ?

Chacun sa vie

Lou ne croit pas à la sincérité de la démarche de Lucas. Elle doute de ses intentions en remettant en question ses paroles. « Tu parles. Il s’en fout. Il a sa vie, Chacun sa vie. Finalement, c’est No qui a raison. Il ne faut pas tout mélanger. » C’est un discours désabusé et pessimiste. Finalement, ce chapitre fonctionne un peu comme un yoyo montrant les aléas émotionnels de Lou, en prise avec le doute, la colère, la frustration, la peine et la solitude. Mais ils poursuivent leur chemin. « On continue de marcher en silence ». Cette phrase qui comporte le verbe d’action « marcher » me fait penser au roman « Rien ne s’oppose à la nuit » de Delphine de Vigan dans lequel elle explique avoir longtemps arpenté les rues de Paris à pied, en long, en large et en travers, une des activités qu’elle aimait partager avec sa mère bipolaire.

Le cadeau de No

Dans l’appartement de Lucas, Lou retrouve No qui a sa plus grande surprise lui offre « une paire de Converse ». Remarquons que le choix du présent nous plonge bien au cœur d’un roman d’adolescents en citant la marque choisie. Lou est émue du geste et heureuse de voir que ce sont « des rouges comme je voulais ». No ne remercie pas forcément avec les mots tendres et affectueux mais via ce cadeau symbolique, cette paire de baskets tant attendue par Lou. Les deux jeunes filles se séparent ensuite car No doit se rendre à son travail.

Questions rhétoriques

Le chapitre 30 se termine par une scène dans une rue parisienne. Lou observe un panneau d’affichage et décrit une image publicitaire sur laquelle on voit « une femme marche dans la rue, décidée, dynamique, un grand sac en cuir sur l’épaule… » Bref, c’est le cliché de la femme belle, élégante, admirable et ce portait élogieux si loin de la réalité de la vie quotidienne interroge Lou. Elle se pose une succession de questions rhétoriques qui nous rappelle ainsi que nous sommes au cœur d’un roman sociologique. Les questions pertinentes sont nombreuses : « comment ça a commencé, cette différence entre les affiches et la réalité ? Est-ce la vie qui s’est éloignée des affiches ou les affiches qui se sont désolidarisées de la vie ? Depuis quand ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » Les stratégies marketing offrent une illusion brillante du bonheur tout en mettant de coté les vulnérables qui restent toujours dans l’ombre. « Je laisse No repartir…rien ne brille autour d’elle, tout est sombre et gris. »

Illustration : Rembrandt 1606-1669
« Mendiants à la porte d'une maison »

Actualité littéraire récente : 

https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-atelier/le-grand-atelier-04-avril-2021

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