Les gratitudes de Delphine de Vigan – éditions Livre de Poche

Pendant de longues années, Marie a vécu dans le même immeuble parisien que Michka. Mais aujourd’hui, Michka de par son âge avancé, n’est plus capable de vivre seule chez elle. Elle perd ses repères, a peur et en attendant qu’une place se libère en maison de retraite, Marie passe ses nuits chez sa voisine. Quand elle est au travail, quelqu’un d’autre prend le relais.

Au départ, Michka vit le changement en ephad avec beaucoup d’autodérision. Elle a le sentiment de découvrir une vie amoindrie, rétrécie et parfaitement réglée. Puis, Michka qui était correctrice pour un grand magazine, va progressivement perdre ses facultés de langage. On appelle cette maladie l’aphasie. Ce trouble entraîne des difficultés à s’exprimer ou bien crée des confusions entre les mots. Ainsi Michka se trompe entre « d’accord » et « d’abord » ou dit « mais pas tant si » au lieu de « mais pas tant que ça ». Cette dégénérescence progressive est d’autant plus difficile à accepter pour cette femme de lettres qui a lu « Doris Lessing, Sylvia Plath et Virginia Woolf… »(page 35). Au côté de son orthophoniste Jérôme, elle fait régulièrement des exercices de vocabulaire afin de stimuler sa mémoire mais préfère finalement se permettre de lui poser des questions sur sa vie privée afin de le bousculer dans ses retranchements. Ses séances nous permettent de lire des dialogues où se mêlent la pudeur et les confessions intimes.

Ce roman publié au mois d’août 2020 est un récit de 185 pages qui se lit très vite. Je l'ai lu grâce à Pascale qui me l'a prêté dans le cadre des échanges de notre club de lecture. Si certes il parle de thèmes délicats comme la vieillesse, la diminution des capacités intellectuelles, la séparation avec nos êtres chers, il est abordé sous un angle poétique et bienveillant. Car comme le titre l’indique « Les gratitudes », vous découvrirez en le lisant que les trois personnages principaux du roman ont en commun la volonté de transmettre leur reconnaissance tant qu’ils sont encore en vie. En cela, dès le début, l’autrice nous interpelle puisque le livre démarre avec la phrase interrogative suivante : « Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois par jour vous disiez merci ? »

Dans le personnage de Marie, on peut lire en filigrane des points communs avec l’autrice (la sensibilité, l’enfance douloureuse, la vie à Paris, le profil de la mère dépressive…)

Delphine de Vigan dont ses romans sont traduits dans plus d’une vingtaine de langues est une autrice que j’affectionne particulièrement. J’aime son authenticité et son amour des mots justes. Je trouve qu’avec ce livre, elle a montré qu’elle était capable de se réinventer tout en continuant de porter un regard critique sur notre société via le personnage imaginaire et autoritaire de la directrice de la maison de retraite.  

Impossible de finir cet article sans remercier Madame De Vigan pour avoir écrit ce magnifique roman émouvant que j’ai lu d’une traite.