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7 juillet 2022

Un secret de Philippe Grimbert - éditions Grasset

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Avant de lire l’œuvre et de se plonger dans son analyse afin de bien en maîtriser le contenu, on peut s’interroger sur ce que le titre évoque. J’aime bien chercher le sens des mots dans mon dictionnaire et d’après mon Petit Larousse illustré de l’an 2000 un secret est un mon masculin du latin secretum. Ce qui doit être tenu caché. De nombreuses expressions existent autour de ce sujet : confier un secret à un ami. Ne pas avoir de secret pour quelqu’un. Être mis dans le secret. Un secret d’État. Le titre est énigmatique. Cette connotation mystérieuse nous conduit à nous interroger :  s’agit-il d’un secret de famille ? Ou bien d’une confession sans témoins entre deux amis ? Comment dire l’indicible ? Le secret emprisonne-t-il en privant les détenteurs de la vérité de toute communication avec l’extérieur ?

Toujours est-il que nous savons qu’il s’agit d’un roman autobiographique, écrit vingt ans après la mort de ses parents. La publication de ce livre n’a rien d’une intrigue policière. Il s’agit d’un texte autobiographique dont l’auteur est le personnage principal du roman qui reconnait le pouvoir cathartique de l’écriture. « Ecrire est le moyen que j’ai trouvé pour faire un travail de deuil. Je n’ai compris cela que très récemment : chacun de mes livres est une petite tombe. »

De cet auteur, j’ai souvenir d’avoir lu en 2013 son tout premier roman noir écrit en 2001 dont le titre est « La Petite Robe de Paul ». http://apresavoirlu.canalblog.com/archives/2013/05/19/27195194.html

PREMIÈRE PARTIE

1

Dans le chapitre un, le récit démarre avec un paradoxe. En effet, l’incipit surprend le lecteur car le narrateur émet une déclaration irrationnelle. Je cite : « Fils unique, j’ai longtemps eu un frère. » L’effet de surprise, voire d’incompréhension est immédiat. Cette phrase écrite à la première personne du singulier est une antithèse entre le fait d’être fils unique et affirmer avoir un frère. On peut en déduire que le narrateur évoque un manque, un désir ou encore un besoin. De l’utilisation de cette figure de style se dégage une opposition entre le fantasme et la réalité.

Nous comprenons très rapidement que pour se consoler de cette absence, le narrateur-enfant s’est inventé un frère imaginaire. Le garçon a une imagination débordante et prenait plaisir à se plonger dans une « fable » dans laquelle il dressait le portrait du frère idéal. L’utilisation des deux comparatifs de supériorité « plus beau, plus fort » permet d’idéaliser ce « frère aîné » qui dans ses rêves est « glorieux, invisible. » L’adjectif élogieux « invisible » nous plonge dans un registre fantastique, tout comme le terme « fable » ou encore « étrangeté » qui nous éloigne de la réalité des faits. Le narrateur a en tête l’image d’un frère idéal, protecteur, paré de toutes les qualités. Il incarne l’image du membre admiré, celui qui sert de modèle.

Face à cette dualité, le lecteur s’interroge et se pose les questions suivantes : « Pourquoi a-t-il inventé ce mensonge ? », « Est-il jaloux des autres enfants qui ont la chance de grandir au sein d’une fratrie ? », « Voulait-il compenser par cette affabulation une solitude affective souvent présente chez les enfants uniques ? »

Le narrateur est franc. Il confie sa jalousie ressentie au contact de ses amis. Je cite : « J’étais toujours envieux, en visite chez un camarade, quand s’ouvrait la porte sur un autre qui lui ressemblait quelque peu. » Le narrateur aurait adoré avoir « un vrai frère. » Cette phrase nominale met ce compagnon complice sur un piédestal. Il regrette de ne pas avoir de frère et donc cette absence reste un mystère. Je cite : « Une étrangeté pour moi qui régnais seul sur l’empire des quatre pièces de l’appartement familial. »

Bien qu’il fût considéré comme « l’unique objet d’amour », le narrateur souffrait. Il se sentait si triste et si malheureux qu’il en dormait mal. De nombreux termes appartiennent au champ lexical de la tristesse inexplicable : « pleurais », « larmes », « honteux », « coupable », « tristesses », « craintes », solitude », « larmes ».

L’utilisation omniprésente du pronom personnel « je » plonge le lecteur dans le roman autobiographique. L’imparfait irétatif est mis en exergue par l’expression temporelle « chaque jour ». Je cite : « Ma vie d’enfant me fournissait chaque jour des tristesses et des craintes. »

En conclusion, le livre s’ouvre sur un récit larmoyant. Le personnage principal plonge dans des souvenirs douloureux. Une enfance maussade liée en grande partie à un sentiment de culpabilité dont on ignore l’origine, de honte et de solitude.

2

Un jour quand sa mère range la chambre de service, le narrateur découvre dans une malle un petit chien en peluche. L’enfant est immédiatement attiré par ce petit jouet comme le souligne son geste rapide et spontané : « Je m’en étais aussitôt emparé et l’avais serré sur ma poitrine. » Quoi de plus naturel et d’anodin pour un enfant de faire sien un objet en peluche qu’il vient de trouver ? Or, la mère semble gênée par cette apparition inattendue. Dans un premier temps, elle manifeste son étonnement via « un sursaut ». L’auteur passe au peigne fin la réaction physique de la mère afin de mettre en valeur la communication non-verbale. De plus, l’enfant est conscient que cette découverte provoque chez sa mère « un malaise ».  

A partir de ce moment, l’enfant utilise cette peluche pour en faire un compagnon qu’il installe sur son lit. Je cite : « Il venait de faire son entrée dans ma vie. » Il partage avec lui sa peine. Il le chérit car il représente une source de réconfort et de tendresse. Toutefois, cet attachement soudain évoque un caractère obsessionnel légèrement inquiétant. En effet, ce frère imaginaire se met à occuper l’espace comme s’il était un être vivant à part entière. Je cite : « je demandais qu’on l’attende avant de passer à table, qu’on le serve avant moi, que l’on prépare ses affaires avant les miennes au moment du départ en vacances. » Des indices suggèrent l’enjeu inconscient de cette appropriation qui tend à effacer le narrateur.

3

Le narrateur est extrêmement complexé par son physique chétif. Il est maigre, pale, livide. Il en souffre d’autant plus que ses parents sont forts, athlétiques et sportifs. La santé fragile de leur fils est d’autant plus frappante qu’elle contraste avec la description des parents. La mère a « le ventre musclé » et des « cuisses de sportive. »

Le narrateur est vaguement intrigué par son baptême tardif. En lui, sont imprimés des souvenirs précis, indélébiles comme le souligne l’énumération suivante : « le geste de l’officiant, la croix humide imprimée sur mon front, ma sortie de l’église, serré contre le prêtre, sous l’aile brodée de mon étole. » Nous remarquons qu’il a un souvenir très clair de cette cérémonie religieuse. Il trouve étrange qu’il porte les traces de l’ablation de son prépuce.

On sent que les parents enferment quelques mystères notamment celui concernant le changement d’orthographe de son nom. En effet, son nom de famille Grinberg est devenu Grimbert pour faire plus français. Les parents restent silencieux et mystérieux au sujet de leur passé. Le narrateur confie que par amour il avait obtempéré pour la discrétion voire le silence de peur d’affecter ses parents. Je cite : « je les aimais trop pour tenter d’en franchir les limites. » Rester dans l’ignorance afin de ne pas souffrir ses proches. Bien qu’on dise souvent que la parole libère, on sait aussi qu’elle peut provoquer l’inverse. De ce chapitre, on comprend entre les lignes que la famille du narrateur est juive et qu’elle a cherché à effacer les traces de ses origines.

4

Le frère imaginaire joue le rôle de compagnon rassurant et protecteur. Sa présence bien qu’inexistante est un antidote. Le remède idéal pour contrôler la gestion de ses peurs. Le présence de nombreux termes appartenant au champ lexical du corps montre que le frère inventé rassure d’abord physiquement le personnage principal. Je cite : « sa main », « bras », « doigts », « cheveux », « épaule », « voix », « oreille ».

Le garçon évoque des souvenirs au sujet de l´école. On comprend qu’il n´avait pas confiance en lui. Il était en retrait, en position d’observation dans la cour ou dans la classe. Une fois de plus, il se compare aux autres pour encore plus se dévaloriser. Je cite : « Je les admirais, le dos collé au mur, incapable de rivaliser avec eux, attendant la cloche libératrice pour retrouver enfin mes cahiers. » L’utilisation de plusieurs verbes à l’imparfait souligne que cette exclusion sociale s’est installée pendant plusieurs années. Comme un état de fait. Le narrateur incarne le stéréotype de l’enfant sérieux, introverti, timide, seul qui pour lutter contre cette solitude s´était choisi « un frère triomphant. Toutefois, la création de ce personnage imaginaire avec lequel il se compare le fait souffrir dans la mesure où il se sent inférieur. Il tend à idolâtrer celui qu’il qualifie d´insurpassable.  

5

D’un point de vue physique, le narrateur souffre d’un complexe d´infériorité. Pour cela, il se dévalorise et dresse un autoportrait charge. Le garçon apparaît comme un jeune homme fragile, chétif, mal en point, protégé par une mère attentionnée, voire surprotectrice. Il se regarde, s’observe en détails puis confie le dégout qu’il ressent de lui-même en utilisant l’oxymore suivant : « Avec une jouissance morbide je me plantais devant le miroir pour inventorier mes imperfections ». Il passe au peigne fin son apparence physique et parle de son corps comme d’une « anatomie défaillante. » L’accumulation de nombreux termes dépréciatifs renforce la caricature de l’enfant malingre.  Cette santé plus que fragile le conduit à consulter de nombreux médecins. Nous remarquons qu’il existe un vrai contraste entre le corps souffreteux du fils et l’éclatante santé des parents. En effet, le père se tient à une routine sportive digne d’un athlète de haut niveau. Il dispose dans son appartement d’une salle de gymnastique.

Le narrateur fournit des informations sur la situation professionnelle de ses parents. Ils tiennent un magasin où l’on vend des articles de sport. L’enfant admire son père dans ses gestes habiles et souples, capable de « soulever sans effort des piles de cartons ». La mère est belle et gracieuse comme le souligne cette jolie métaphore décrivant sa chevelure telle une « sombre cascade de cheveux. » Le narrateur déteste son corps mais admire ses parents qu’ils considèrent comme de véritables gravures de mode.

6

Le narrateur retrouve le chien en peluche. Il l’installe tel un ami proche sur son lit. Il devient un allié apaisant et protecteur contre le frère quand surgissent les conflits. Je cite : « Quand il m’arrivait de me brouiller avec mon frère je me refugiais auprès de mon nouveau compagnon. » Il décide de lui donner un non. Il l’appelle « Sim ». Le diminutif ici a une connotation affective, tendre et amicale. Toutefois, son attitude le plonge dans un état de stupéfaction comme le souligne les phrases interrogatives. Les questions rhétoriques soulignent le caractère énigmatique de ce choix. Je cite : « Où étais-je allé lui chercher ce nom ? Au détour des silences de ma mère, dans la tristesse de mon père ? » Le terme « trouble » met en valeur l’ambiance mystérieuse qui pèse sur cette famille silencieuse. Taiseuse.

Les liens avec le frère inventé commencent à changer. Ils se dégradent. Les relations sont marquées par des disputes « des querelles » et un rapport de force s’installe, distançant le vainqueur du vaincu. Il exprime sa colère contre ce frère tyrannique imposant son « autorité ». L’utilisation de plusieurs adjectifs tels que « moqueur » et « méprisant » ont une connotation péjorative.  Face à ce comportement, le narrateur exprime des pulsions de violence comme le souligne l’hyperbole suivante : « j’appuyais de toutes mes forces sur son visage pour l’enfoncer dans les sables mouvants de l’oreiller ».

7

Le narrateur semble avoir une obsession au sujet de son état physique. Il constate avec dépit sa « maigreur » qui ne cesse de s’accentuer à tel point d’alerter le médecin de l’école, soucieux que l’enfant ne mange pas à sa faim. On imagine son aspect quasi cadavérique. Face à cette déchéance, il ressent une forme de « honte » déjà ressentie au préalable. Pour être plus précis dans cette description inquiétante, le narrateur utilise de nombreux termes appartenant au champ lexical du corps humain, tout en ajoutant des adjectifs ayant une connotation dépréciative. Je cite : « cernes bleutes », « teint livide », « enfant épuisé ». Le narrateur enfant semble avoir une fascination étrange pour tout ce qui concerne le corps tout comme le souligne son comportement étrange et solitaire dans les réserves du magasin. Les confessions de ses souvenirs nous donne l’image d’une enfant espiègle, seul, avec un certain goût pour l’interdit.

8

Dans le chapitre 8, apparait un nouveau personnage féminin. Elle s’appelle Mademoiselle Louise. Elle est la voisine et occupe le poste de masseuse à domicile. Le narrateur nous dresse le portrait physique de cette femme âgée d’une soixantaine d’années. On sent qu’il existe une complicité entre les deux personnages. Il aime passer du temps avec elle, recherche sa compagnie. Il semble partager avec elle un point commun : une difformité. Elle a un pied-bot dissimulé dans une chaussure orthopédique. Elle est donc un peu handicapée physiquement, un peu affectée par le tabac et l’alcool. Les deux ont une fragilité, ce qui les rend vulnérables et plus faibles.

9

Tout comme le narrateur, Louise est aussi fascinée par la vitalité des parents du narrateur. De la mère, elle admire « la beauté. » Du père, elle savoure son « élégance ». Nous avons l’image du coupe parfait, harmonieux, loin de laisser leur entourage indifférent. Elle est dotée d’une extrême gentillesse et se montre attentionnée avec le garçon.   Elle reçoit aussi leurs confidences, aime préparer du chocolat chaud pour leur fils. L’enfant est curieux d’en connaitre davantage sur sa vie, ses souvenirs mais elle préfère passer sous silence quelques sujets qu’elle considère pénibles. Je cite : « Je voulais en savoir davantage mais très vite, comme à chaque fois qu’elle abordait un sujet pénible, lui venait ce même geste pour écarter la douleur. »

En conclusion, le chapitre un nous offre le récit larmoyant d’une enfance sombre et intrigante. Le narrateur est plonge dans la solitude et la tristesse. Heureusement qu’il y a Louise, l’infirmière qui s’occupe de ses fréquents traitements. Cette dame de soixante ans : boiteuse, grosse fumeuse mais attentive à ses chagrins semble lui apporter du réconfort. Il passe beaucoup de temps avec cette femme qu’il considère bien plus qu’une simple voisine.

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