Le voyage à Paimpol de Dorothée Letessier – éditions Points
Maryvonne habite et travaille à Saint-Brieuc en Bretagne. Elle est ouvrière dans l’usine de Chaffoteaux spécialisée dans la métallurgie. Du jour au lendemain, elle décide de quitter le domicile conjugal. Avant de partir, elle laisse une courte note à l’attention de son mari sur la table de la cuisine. L’explication est brève : « J’étouffe, je vais prendre un bol d’air. A bientôt, je t’embrasse. Maryvonne. »
Maryvonne ressent le besoin de s’offrir une virée en solitaire. Comme le litre l’indique, elle entreprend « Le voyage à Paimpol. » Bien que la distance de 45 kilomètres semble dérisoire, la décision n’en est pas moins symbolique. Pour de multiples raisons, Maryvonne en a assez de tout. Tout d’abord, elle est épuisée physiquement et psychologiquement par les cadences effrénées de son rythme de travail. L’inconfort des positions, le bruit constant, les gestes répétitifs et monotones n’ont rien d’épanouissant.
A la maison, elle est tracassée par l’usure de son couple. Elle se sent invisible et désabusée. Elle s’impatiente avec son petit garçon de quatre ans et la monotonie des tâches quotidiennes l’accable. Bref…Maryvonne est rongée par un vague à l’âme oppressant. Une souffrance qui prend toute la place.
Cette fugue va lui permettre de renouer avec de simples plaisirs : un voyage en autocar, la lecture d’un nouveau roman, une nouvelle coupe chez le coiffeur, une nuit d’hôtel, une ballade sur le port et dans les rues de Paimpol. Maryvonne aura-t-elle envie de rentrer suite à cette escapade imprévue ?
C’est la deuxième fois que je lis ce livre sans savoir à quand remonte exactement ma première découverte. Toutefois, si vous trainez vos guêtres sur les quelques pages de ce blog, vous aurez deviné que j’adore les narrations qui se passent en Bretagne.
Par contre prudence, il ne faut pas s’y méprendre : la connotation du titre pourrait laisser entendre à de douces vacances au bord de la mer. Or, il s’agit d’un roman social publié en 1995 qui donne la parole à une femme ouvrière, tout simplement à bout de souffle. Il est important de préciser que l’autrice était employée dans cette usine donc elle s’est appuyée sur son expérience pour inventer le personnage de Maryvonne. Il y a chez cette femme une grande fragilité et une détresse profonde. Elle répète au fil des pages son désarroi en insistant sur l’absence de sens dans son travail et l’ennui dans sa vie personnelle. C’est un livre emblématique d’une époque mais en même temps cet air du temps est toujours réel. D’actualité.
J’ai été sensible à de nombreux détails qui m’ont transporté quelques années en arrière : la possibilité de fumer dans les cafés, les prix sont en francs, le langage comporte de nombreuses expressions maintenant désuètes, il n’y ni téléphones portables, ni internet et franchement ça fait du bien de passer du temps avec des personnages qui ne sont pas interrompus dans leurs élans ou leurs pensées par un message électronique.
Maryvonne goûte le temps de quelques heures le parfum de la liberté, la sensation d’une vie sans contraintes dans laquelle elle utilise son imagination et rappelle à quel point la lecture est importante pour elle.
Enfin, ce roman m’a beaucoup touché car il offre une magnifique éloge de la lecture. A son pouvoir d’évasion. A ses bienfaits. Je terminerai donc par dire que je me suis complètement identifiée à Maryvonne quand elle parle de son intérêt pour les livres :
"Avant de me mettre à lire, je respire l'odeur du papier, de l'encre, de la couverture glacée. Ce parfum d'imprimerie crée une atmosphère complice entre mon regard et la chose qui va se mettre à vivre. Je reconnais les éditions à leurs arômes délicats ou puissants. Lire est aussi un plaisir physique. Je sens un livre. J'écoute le bruit de ses pages. Je les palpe. J'aime regarder sans chercher à comprendre les lettres, les mots accolés, rythmés par leur longueur et leur espacement. Je contemple les paragraphes comme de petits tableaux, chacun a sa propre harmonie. Le livre prend son souffle dans l'arrangement de ses silences et je respire à son tempo. C'est un compagnon docile, s'il s'ouvre, quand je veux, à la page marquée et me faire taire. Nous cohabitons des heures, des jours, des semaines parfois et mes humeurs jouent sur les lignes.
Les derniers mots d'un livre sont à la fois une déchirure et un soulagement. Mon travail est achevé. Mais j'ai lu trop vite, je regrette que ce lien soit rompu. Et cet écrivain qui n'a plus rien à dire me déçoit. Impossible de relire, l'heureuse surprise ne se reproduira pas. J'ai été, une fois de plus, trompée, ma vie n'a pas changé. Tout de suite, je cherche un autre livre où accrocher mes mirages. Je suis l'héroïne d'une foule d'histoires inconnues.”
Un roman lucide sur la condition des femmes ouvrières, un titre sélectionné pour le prix Hyuro, un style percutant, simple mais aussi poétique. Une ode à l’espoir de jours meilleurs.
Une doucee pensée pour cette autrice qui a quitté notre monde au mois d’août 2011.