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22 janvier 2019

L'image des banlieues dans le roman Kiffe Kiffe demain de Faiza Guene - editions Livre de Poche

Kiffe-kiffe-demainLe roman Kiffe Kiffe demain de Faiza Guene se passe au cœur de Livry-Gargan, une banlieue parisienne habitée principalement par des immigrés qui vivent dans des conditions difficiles.Quelle image des banlieues dépeint Faiza Guène dans le roman Kiffe Kiffe demain  ? Qu'apprenons-nous sur le traitement des immigrés et des démunis dans ce livre ? Enfin, bien que la vie dans la cité du paradis soit très difficile, avons-nous aussi une impression favorable de la vie de ces quartiers ?

Les logements dans ces cités sont souvent petits, inconfortables, vieux et insalubres. Les habitants vivent dans des HLM : habitations à loyer modérés et la proximité entre les appartements restreint considérablement la vie privée de ses résidents. Dès le début du roman, Doria fait part de la grande déception de sa mère quand elle a découvert son appartement : « Elle m'a dit que la première chose qu'elle avait faite en arrivant dans ce minuscule F2, c’était de vomir. »(page 21). Cette citation est intéressante également car elle soulève la différence entre les rêves et la réalité perçue par les immigrés quand ils comprennent ce qui les attend en France.

Prenons l'exemple de Yasmina qui imaginait la France comme un pays romantique « comme dans les films en noir et blanc des années soixante »(page 21). Le lecteur saisit bien que la mère de Doria a rapidement déchanté car elle pensait « qu'ils avaient pris le mauvais bateau et qu'il s’étaient trompés de pays. »(page 21). Combien sont-ils comme Yasmina à idéaliser la France comme une terre d'accueil ouverte et chaleureuse ? L'immigration est un chamboulement linguistique, culturel, psychologique et la reaction de Yasmina suggère que l’immigré a tendance à glorifier, embellir le pays de destination dans ses rêves pour ensuite faire face à une dure réalité. Cette prise de conscience parfois entraîne par la suite un manque de son environnement ou une perte de sa culture, souvent accompagnée de nostalgie.

Parlons maintenant des conditions de travail des immigrés décrites dans ce livre. Les femmes analphabètes occupent des métiers précaires et sont victimes de racisme. Les patrons, comme M. Schihont abusent de leur pouvoir et font preuve de discrimination en appelant les arabes « Fatma », les noirs « Mamadou » et « tous les chinois Ping-Pong ». (page 14) Il utilise des surnoms péjoratifs et méchants. Le directeur terrorise ses employés, utilise le harcèlement moral, la violence verbale et ses méthodes anéantissent les travailleurs car ils se sentent exclus et inférieurs. Doria constate le désespoir de sa mère et confie : « Un jour, il l'a insultée et quand elle rentrée, elle a pleuré super fort. » (page 15)On retrouve d'ailleurs cette injustice page 119 quand Hamoudi alors employé en tant qu'agent de sécurité la nuit dans une entreprise de location de matériel hi-fi vidéo et informatique s'est fait « viré parce que des trucs ont disparu dans l'entrepôt ». Hamoudi a été accuse à cause de « cette sale gueule... », ce qui sous entend la couleur de sa peau ou ses origines.

Par ailleurs, lorsque Doria prend le métro pour passer le temps, nous avons une idée du multiculturalisme en France à travers le joueur roumain qui fait la manche avec son accordéon, les deux pakistanais qui vendent des marrons chauds, sa mère marocaine qui ne sait pas ce qu'est une manucure. Le chapitre six (page 29) traite de l'exclusion sociale et montre à quel point il est difficile pour ces personnes sans papiers de s’intégrer au sein de la société française.

Le livre parle également de la misère des habitants du quartier. Prenons l'exemple de la famille de Doria : elles ont des difficultés pour payer le loyer, les factures, elles achètent des vêtements d'occasion dans des vides-greniers et le baby-sitting payé trois euros de l'heure est « une vraie fortune » pour Doria. Le manque d'argent est un thème souvent souligné et cette pauvreté gène Doria car elle ne souhaite pas inspirer la pitié dans le regard de son entourage. Page 69, Doria déclare : « Je me sens régresser avec tous ces gens qui me traitent comme une assistée ». Cette précarité est mise en avant quand Doria n’a pas assez d’argent pour s’acheter un paquet de serviettes hygiéniques, ce qui nous fait comprendre que même l’accès aux produits de première nécessité est un vrai problème majeur. Doria confie avec dépit : « Le pire, c'est que j'avais même pas assez pour le payer et qu'elle m'a fait crédit. »(page 85) Ajoutons que dans ces quartiers, le taux de chômage est élevé, ce qui justifie la présence régulière des assistantes sociales qui tentent de proposer des solutions adaptées aux familles dans le besoin.

Cette misère est également présente au sein du milieu scolaire. Le roman parle également de la violence et de l’insécurité dans les zones d’éducation prioritaires. Les professeurs font souvent grève et le proviseur est victime d'agression « gaze à coups de bombe lacrymogène dans la face. » Dans ce climat de tension, il semble difficile d’étudier sereinement or nous savons que l’accès à l’éducation serait une des solutions qui permettrait de sortir de la spirale négative. Doria insiste que dans ces écoles les professeurs semblent impuissants et donc au lycée « c'est la misère » car les professeurs en ont « MARRE DE LA VIOLENCE. » (page 65)

Le roman montre aussi que les délinquants sont victimes des abus de pouvoir de la police. Quand Youssef est arrête « ils ont défoncé la porte, l'ont sorti du lit à coups de pied, mis tout sens dessus dessous dans l'appartement et l'ont emmené au poste. »(page 69) Ces méthodes plus que douteuses plongent Doria dans un sentiment profond d'injustice et lui donnent envie de s’évader, de quitter son quartier. Elle raconte son rêve dans lequel « J'allais de plus en plus haut, je voyais les HLM qui s’éloignaient et devenaient de plus en plus petits. » (page 71).

 Il semblerait que dans les banlieues le pouvoir de la religion soit très fort. La narratrice nous rapporte une scène très intéressante : « Je me rappelle qu'une copine m'avait donné un poster de Filip des 2 Be 3(...) toute contente je l'avais accroché sur le mur de ma chambre (...) le soir mon père est entré dans ma chambre. Il s'est mis dans tous ses états et a commencé à arracher le poster en criant : « Je veux pas de ça chez moi, y a le chétane dedans, c'est Satan ! » (p.43) Le père de Doria représente ainsi l'image typique du père maghrébin, très superstitieux, car son univers de référence est fortement imprégné par sa culture arabo-musulmane. Le pere de la narratrice n'admet pas l'intégration de sa fille à ce nouvel univers culturel. Ajoutons l'exemple du mariage de Lila : une union entre maghrébins et français. Cette mixité, quoique de plus en plus répandue en France, est sévèrement jugée par les deux familles, essayant chacune pour sa part, de conserver sa particularité et considérant ce phénomène comme très dangereux voire menaçant leurs traditions, religion et donc leur identité.

Rappelons que le thème de l'exclusion sociale est très bien traité lorsque Doria évoque un de ses souvenirs d'enfance en faisant référence au « bac à sable des français ». (page 89) Elle sous-entend ainsi que cet espace de jeux était uniquement réservé aux français de souche et autrement dit qu'elle ne pouvait pas se mélanger aux autres. Ce rejet était d'autant plus significatif quand les enfants ont fait une ronde et ont « refusé de lui donner la main ». Doria explique donc que la division existe à cause du manque d'ouverture d'esprit des parents qui interdisent la cohabitation entre les cultures. Mais, de plus l’aménagement urbain est responsable de cette inégalité car Doria dit page 90  « il y a quand même une séparation bien marquée entre la cité du paradis et la zone pavillonnaire Rousseau. Des grillages immenses qui sentent la rouille tellement ils sont vieux et un mur de pierre tout le long. Pire que la ligne Maginot ou le mur de Berlin». Cette comparaison suggère qu'il existe une véritable frontière entre les deux mondes, et par conséquence les habitants des banlieues sont frappés d'ostracisme.

Il parait toutefois important de souligner que tout n’est pas négatif dans cette oeuvre de fiction. Le livre montre également le sentiment de communautarisme et d'entraide qui existe entre les femmes maghrébines qui aiment « les réunions de femmes le mercredi après-midi autour de leurs machines à coudre Singer des années quatre-vingt, ça lui rappelait un peu le bled ».(page 33). Cette citation nous permet de comprendre le besoin des femmes de parler dans leur langue d'origine et de recréer ce qu'elles ont perdu. On retrouve ce sentiment dans l'organisation de la « fête municipale de Livry-Gargan »(page 51) dans laquelle les habitants prennent du plaisir à fréquenter « des stands de thé a la menthe et de pâtisseries orientales, le barbecue frites-mergues d'Elie. »(page 51) La gastronomie étant un moyen de célébrer leur culture d'origine. Les citoyens s'entraident, les femmes se soutiennent et des relations amicales et amoureuses se créent.

En conclusion, nous pouvons dire que Doria, issue de l'immigration maghrébine en France a du mal à s'intégrer dans la société française et de l'autre côté elle ne semble pas se reconnaître dans la culture du pays d'origine de ses parents. Cette distance est bien ressentie avec l'utilisation de l'indicateur de lieu “La-bas”. Le pays d'origine devient alors un espace étranger car les valeurs qu'il incarne ne correspondent pas a l'univers référentiel de la narratrice. Doria confirme ce décalage quand elle confie “La dernière fois que nous sommes retournées au Maroc, j’étais égarée.”(page 22) L’auteur nous offre donc un regard fort, lucide, franc sur la situation des immigrés en France en s’appuyant sur une variété d’anecdotes parfois tragiques et parfois touchantes. Elle montre que le phénomène de violence est très flagrant car il touche à tous les niveaux : violence à l'école, violence exercée par la police, violence faite aux femmes.

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